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di Tecnica & Medicina

 

 

169. Plongée air et mélanges: optimiser la décompression par les “Gradient Factors”

Par Thierry Fontenay  https://www.plongee-infos.com/

Les clés du calcul de la décompression ! Un article complet, extrêmement approfondi et détaillé sur l’étude de la décompression en plongée à l’air et aux mélanges par les “Gradient Factors”, que nous propose Thierry Fontenay, spécialiste en la matière. Pour tout comprendre sur les modèles de décompression.

« Les stratégies de décompression utilisées sont toutes basées sur un équilibre « négocié » entre la probabilité de survenu d’accident et le temps passé à remonter. » (Dr. David Doolette – NEDU).

« Il faut bien se convaincre qu’en matière de décompression, la vérité n’est pas téléchargeable. » (Dr. Bernard Gardette – COMEX).

 
En matière de décompression, les seules choses dont nous soyons absolument certains (parce que scientifiquement prouvées) sont les lois de Dalton, de Boyle-Mariotte et de Henry. Il faut garder présent à l’esprit que les tables et algorithmes qui en sont issus ne sont que le résultat de modélisations et de simulations de ce qui semble se passer dans l’organisme. Certains modèles sont issus d’observations cliniques et de tests in vivo et d’autres d’une pure théorie, parfois même de simples pratiques qui semblent donner satisfaction (comme les Pyle stops ou le Ratio Deco).

Tout est affaire de « négociation » entre la recherche d’une sécurité, la faisabilité technique (volume de gaz emporté) et l’inconfort de paliers… toujours trop longs. On peut dire qu’en général, cela marche trè

Ce qui paraissait simple et parfaitement formalisé par les tables et les ordinateurs de plongée loisir il y a encore peu de temps (le coté obscur de la décompression étant longtemps resté l’apanage des militaires et des scaphandriers professionnels) s’est retrouvé largement remis en question par le développement de la plongée dite technique, souvent profonde et parfois complexe (c’est le cas de la plongée souterraine par exemple, ou de certaines plongées profondes sur épaves), mettant en œuvre des protocoles multi-gaz, l’utilisation massive d’hélium, l’usage du recycleur ou la pratique fréquente de profils parfois peu orthodoxes.

L’âpreté de certains débats entre plongeurs sur le choix d’un modèle de décompression (Ratio Deco vs VPM vs ZHL+GF) confine, parfois, à une guerre de religion. C’est sans doute la preuve que nous ne détenons pas encore tout à fait la vérité et que nous continuons d’expérimenter encore et toujours.

C’est dans ce contexte, à la fois précis et flou, où théorie et pratiques se confrontent, s’opposent et, parfois, se réconcilient, que le concept des GF (Gradient Factors) prend toute sa valeur.

Petit rappel des postulats haldaniens et néo-haldaniens

Le principe des GF ne s’applique qu’aux modèles de décompression haldaniens et néo-haldaniens, il paraît donc utile de commencer par rappeler rapidement ces derniers.

 A) Les trois postulats haldaniens , qui permettent de poser les premières barrières, celles à franchir et celles à ne pas franchir

  • La réaction du corps peut être modélisée par un ensemble de compartiments (aussi appelés tissus) définis en fonction de leur période de saturation/désaturation (le temps que met le tissu pour gagner ou perdre la moitié du gradient de pression partielle d’un gaz). De 4’ pour le tissu 1 à 645’ pour le tissu 16 dans un Bühlmann ZHL-16. Les demi périodes courtes déterminent les tissus qui saturent et désaturent rapidement, les demi-périodes longues, caractérisent les tissus lents, ou très lents. Dans un premier temps seule l’azote a été prise en compte dans les calculs de période. Les tissus sont avant tout des modèles mathématiques.
  • Il existe un rapport de sursaturation tolérable par chaque compartiment. Haldane avait défini qu’un rapport de 1:2 entre pression ambiante et pression des gaz dissous du tissu était tolérable.
  • Maximiser le gradient de pression (entre pression ambiante et pression des gaz dissous) permet d’optimiser la décompression : pour que la décompression s’effectue correctement et efficacement, on peut/doit s’approcher du point de sursaturation critique. Sans jamais le dépasser.

B) La droite de M-Value de Workman : elle définit le Nec plus ultra (et pas plus loin !)

Workman a défini une pression partielle maximale tolérable des gaz inertes dissous, pour chaque compartiment et pour chaque profondeur (ramenée, dans le même temps, du rapport 2:1 d’Haldane à un rapport 1,58:1), baptisées M-values. M signifiant «maximum». Ceci peut être synthétisé par une simple formule de type y=ax+b (dans les faits Pt=∆M.Pamb+M0 ou Pt est la Pression tissulaire maximum tolérable, ∆M est la pente de la droite, Pamb est la pression ambiante et M0 l’intercept avec la pression zéro ambiante). Bref une simple droite inclinée. Ou plutôt, une famille de droite, puisqu’il en existe une par compartiment et par gaz inerte dissous.

Pour simplifier et récapituler,

  • En deçà de la droite des pressions ambiantes, le tissu considéré, continue de charger en gaz inerte.
  • Au delà de cette droite des pressions ambiantes et en deçà de celle des M-values, on est dans une zone favorable à la décompression.
  • Au delà de la courbe des M-values, on entre dans une zone à haut risque, où les bulles ont toutes les chances de se former, en nombre, dans le tissu considéré, favorisant ainsi la survenue d’un accident.
C’est donc exactement à l’endroit ou la courbe de désaturation du tissu le plus à risque (appelé tissu directeur) va «toucher» sa droite des M-values (Graphique 4) qu’il faut déclencher un stop. En procédant par itération, le tissu directeur changeant au fur et à mesure de la remontée, on obtient un profil de décompression avec profondeur et durée de chaque stop. Plus la demi-période du tissu directeur sera élevée, plus le palier sera long. Les paliers seront donc de plus en plus longs au fur et à mesure de la remontée.

Grace aux droites de M-values, on peut aussi prendre en compte un élément essentiel : la dissymétrie des ratios de surpression tolérable par chaque tissu à différentes profondeurs. Pour faire simple : plus le tissu est rapide, plus il tolère une forte surpression. Plus il est lent et moins il la tolère. De même, plus la pression ambiante est élevée, donc plus on est profond, et plus les gradients de pression sont réduits. Ce qui explique pourquoi on pourrait sans préjudice (et certains le font) adopter une vitesse de remontée variable. Rapide au départ, puis de plus en plus lente quand la surface approche.

Le modèle Workman va donner les profils de décompression que l’on connaît généralement, assez pentus au départ, s’arrondissant nettement au ¾ puis s’aplatissant au plus près de la surface. Il privilégie ainsi une première phase de remontée relativement rapide et une décompression qui se situe essentiellement dans le haut.

C) Les M-Values de Bühlmann et leurs calculs

Dans les années 80, en Suisse, le professeur Bühlmann s’intéresse particulièrement à la modélisation de la plongée en altitude. Bühlmann tout en conservant le concept des droites de M Values, va en changer certains paramètres (les célèbres coefficients a et b qui vont remplacer M0 et ∆M) et va aussi chercher à mieux intégrer l’hélium dans le calcul des demi-périodes de compartiment.

Ses travaux donneront naissances aux célèbres algorithmes ZHL-12 et 16, qui «motorisent» une grande partie des ordinateurs du marché, qu’ils soient grand public ou techniques. Ils sont aussi à l’origine de très nombreuses tables.

Et les GF, alors !

Créer une barrière ajustable, en amont du champ de mine…

Le principe des GF va, par la suite, être formalisé par Eric Baker, en partant d’éléments de calcul publiés par Bühlmann: les pourcentages de gradient.

Les GF (ou Gradient Factors ou Facteurs de Gradient) sont comme deux gros « boutons » de réglage, gradués en pourcentage et qui viennent agir aux deux extrémités de la droite des M-values.

Une nouvelle droite, passant par ces deux points, est ainsi créé, et c’est elle qui servira désormais à déclencher les stops, à la place de celle des M-values, sur laquelle elle ne fait que « s‘appuyer ».

 

Une sorte de marge de sécurité supplémentaire est ainsi créée.

Cette marge, détermine une nouvelle limite, plus ou moins éloignée de la frontière fixée par l’infranchissable droite des M-values. De cette façon, la courbe de désaturation de chaque tissu va rencontrer sa « zone rouge », plus tôt.

Plus précisément, c’est le tissu directeur (c’est à dire celui qui est le plus à risque à l’instant ti de la remontée) qui va rencontrer plus tôt la nouvelle droite définie par les GF et déclencher un palier, soit plus profond (si il s’agit du premier palier), soit potentiellement plus long (qu’il s’agisse du premier palier ou plus généralement d’un des paliers suivants). On va donc ainsi modifier la forme du profil de décompression en jouant sur les GF, et gagner en sécurité.

 

Ce qui est encore plus intéressant, c’est que nous allons aussi pouvoir faire varier la pente de cette nouvelle barrière de façon à accroitre la sécurité de façon différentielle. Au choix : déclencher des paliers plus bas, accroitre la durée des paliers ET de la DTR, OU les deux, OU rien du tout.

Bref, on va pouvoir créer son propre profil de décompression, tout en restant dans une zone de sécurité théorique confortable.

Les GF en pratique

La droite des M-values étant considérée comme la référence absolue, la barrière à ne pas franchir, on lui donne la valeur 100%. Pour parler GF : Un GF low 100 associé à un GF high 100 (noté généralement GF 100/100) définit une droite qui n’est ni plus ni moins que la droite des M-values elle-même. C’est le premier niveau de réglage : on n’a rien changé par rapport à un ZHL-16-B pur.

Un GF 90/90 va créer une nouvelle droite (qui va maintenant servir à piloter la décompression à la place de la droite des M-values) décalée de 10% (100-90=10) en haut et en bas dans le sens de la sécurité. Ce qui, potentiellement, signifie : un premier palier un cran plus bas et/ou un dernier palier plus long. (cf. Fig. 4)

On a ainsi créé une droite parallèle à la première, mais en amont des problèmes potentiels. Un peu comme si on avançait les barbelés en avant d’un champ de mines connu mais qui se situe dans une zone relativement indéterminée.

Avec un GF 80/80, on éloigne encore un peu plus la limite des M-Values en accroissant la sécurité de 20% cette fois.

Quelques exemples de GF « jumeaux »:

Important ! Les simulations réalisées ici, l’ont été de façon purement théorique, De nombreux profils n’ont pas été testés en plongée réelle… et ne le seront sans doute jamais. Il s’agit juste d’illustrer le propos et d’aider à la réflexion.

Sur une plongée de 20’ à 30 m à l’air, on voit qu’utiliser un couple de GF 90/90 ne change pas grand chose par rapport à un Bühlmann pur (GF 100/100), même si accepter 2’ de plus au dernier palier n’est vraisemblablement pas une mauvaise idée.

Par contre avec un GF 50/50, on peut vraiment se demander 1) quel est l’intérêt de faire un premier palier à 9m  et 2) si cela rime réellement à quelque chose de passer 14’ à 3m.

Donc, oui, les GF fonctionnent, mais on discerne déjà, que certains réglages, apparemment « sécuritaires », peuvent s’avérer totalement aberrants.

 
Sur une 50m à l’air (à supposer, bien sûr, que cela soit une bonne idée…) on voit déjà un peu mieux les GF en action. Un Bühlmann pur (100/100) paraît tout de même un peu «raide».
Un choix de 90/90 ou de 85/85 (ce dernier choix se contentant d’ajouter 1’ à 6m) paraît bien plus raisonnable. Si on aime les paliers plus profonds un 70/70 en donnera effectivement un… à 12m, mais associé à 14’ à 3m, ce qui paraît absolument sans intérêt. Ne parlons même pas du couple 50/50, une fois de plus complètement à coté !

On remarque donc que les couples de GF « jumeaux » manquent de souplesse et surtout, si l’on veut générer des paliers bas, on va augmenter automatiquement, et considérablement, le temps passé dans la zone des 10 mètres. Ce qui n’est pas illogique. Mais pas toujours nécessaire.

 
Si maintenant l’on donne des valeurs différentes aux GF haut et bas, nous allons créer une droite qui n’est plus parallèle à celle des M-values. Elle aura une pente différente, et va donc « rencontrer » les courbes de désaturation des tissus à des moments différents et générer des stops de profondeur et de durée différentes. On va ainsi pouvoir modifier plus largement la forme du profil général de décompression, en accentuant la prise en compte de trois éléments :
  • la dissymétrie des gradients de pression entre le fond (gradients de pression faibles) et la surface (gradients forts), car s’il n’y a qu’un écart de 1 bar tous les 10m, celui-ci représente, en pourcentage, un gradient variable qui ne sera que de 11% entre 90 et 80m, mais de 25% entre 40 et 30m, de 50% entre 20m et 10m et bien sûr de 100% entre 10m et la surface
  • la dissymétrie entre tissus, les tissus rapides supportant mieux les forts gradients de surpression et donc la proximité avec les M-values, les lents préférant au contraire s’en tenir éloigné
  • et les spécificité physiques d’un gaz à désaturation rapide comme l’hélium, dont la proportion va considérablement varier lors de la décompression lors d’une plongée trimix.

L’importance de ces points, déjà pris en compte dans le modèle Bühlmann pur, va encore être accentuée.

Les principes généraux d’utilisation des GF 

Le GF bas pilote la profondeur du premier palier. Plus le GF bas sera faible, plus le premier stop sera déclenché tôt, donc profond. Au contraire plus le GF bas sera élevé, plus le palier sera proche de ce qu’un Bühlmann nominal aurait donné.

Le GF haut, lui, guide la durée du dernier palier. Plus il est bas, plus il va étirer le dernier palier dans le temps. Plus il est élevé, plus le dernier palier sera proche d’un Bühlmann nominal, donc relativement « court ».

Et entre les deux, que se passe t’il?

La nouvelle droite, (ou plutôt la nouvelle famille de droites, puisque rappelons qu’il y en a une par tissu) va suivre une pente qui va l’amener à faire la jonction (géométriquement) entre le GF bas et le GF haut. Si je plonge à 70m avec des GF 20/90, la droite des GF va suivre une pente qui va aller du GF 20 jusqu’à la surface (GF 90) et me fera passer par un mon premier palier défini par le GF 39 (en l’occurrence à 24 m), un GF45 à 21m, un GF 65 à 12m et un GF 84 à 3m. Ainsi donc, en définissant uniquement deux GF, je vais en utiliser, en réalité, toute une collection intermédiaire. Potentiellement, tous ceux qui sont sur la droite des GF définies par le choix 20/90, mais plus précisément tous ceux déterminés par l’écart de profondeur choisis entre deux stops (nous utilisons en général un écart de 3m qui correspond aux 10 pieds anglais choisis, à l’origine, par Haldane pour simplifier ses calculs.)

Globalement, entre la profondeur du premier palier (durée 1’) et la durée du dernier, le temps de décompression total va se répartir le long de la courbe en privilégiant généralement les 10 derniers mètres ou les trois derniers paliers (entre 40% et 60% de la DTR suivant la profondeur maximum atteinte, le temps passé au fond et les gaz utilisés.)

Les résultats obtenus sont, bien sûr, plus ou moins flagrants, mais les différences sont tout de même très nettes en fonction des choix de GF, même sur des plongées aussi simple qu’une 30m à l’air.

Quelques autres exemples:

Un couple de GF 30/85, va nous donner un premier palier à 12m ! Et là, on peut sincèrement avoir des doutes sur la pertinence d’un tel choix.

Cela confirme, qu’avec les GF, il va falloir choisir avec discernement, parmi un grand nombre de choix possibles, mais aussi écarter les résultats que le bon sens (et l’expérience) nous déconseillent. De toute façon, sur une plongée standard à 30m on peut adopter un couple GF 90/90 ou même GF 100/100 sans trop se poser de question.

Nous avons vu plus haut qu’un choix de GF 90/90 (DTR : 11’, premier palier 2’ à 6m, dernier palier 5’ à 3m) n’est pas totalement sécurisant, et que les couples de GF «jumeaux» nous privent de souplesse.

Un GF 30/85 nous donne : DTR : 15’, premier palier 1’ à 18m, dernier palier 5’ à 3m. Faire un premier palier à 18m à l’air ne paraît pas non plus bien raisonnable… nos tissus intermédiaires, vont continuer de se charger.

Quand au GF 20/85, qui s’approche finalement assez d’un Pyle Stop (palier à mi-profondeur), il va nous faire sortir avec une sursaturation résiduelle en azote de presque 1.1 ATA, ce qui est trop. En tous cas moins bien … qu’un GF 85/85 !

Si on veut à tout prix faire un palier profond, il paraît judicieux d’ajouter du temps en haut en choisissant, par exemple, un GF 20/75 qui va nous donner plus de temps dans les 10 derniers mètres (+1’ à 9m, +2’ à 6m et +3’ à 3m) et nous faire sortir avec une sursaturation du tissu directeur à 0,8 ATA.

Juste pour illustrer les limites du système : un choix de GF 5/10, a priori ultra sécuritaire, nous donnerait: DTR : 337’, premier palier 2’ à 30m, dernier palier 199’ à 3m !!! On comprend pourquoi certains logiciels de décompression ne permettent même pas ce choix !

GF, trimix et… paliers profonds

Dans les années 90, beaucoup de plongeurs techniques se sont laissés convaincre par le modèle «à bulles circulantes». En rupture complète avec les modèles haldaniens, celui-ci est basé sur une approche, essentiellement théorique, reconnaissant entre autre l’impossibilité (et donc l’inutilité) d’éliminer les bulles. Ce qu’effectivement les modèles haldaniens et néo-haldaniens, n’ont pas vraiment réussi à faire. Ce nouveau modèle se contente de définir un niveau de bulles acceptable dans les tissus (en nombre et en taille). Un modèle complexe tenant compte du comportement des bulles, de leur tension de surface et de leur capacité (en fonction de leurs tailles, des gradients de pression et du gaz contenu) à apparaître, à croître et à se multiplier plus ou moins rapidement à la remontée.

Ce modèle (le VPM-B en est un aboutissement) préconise des premiers paliers beaucoup plus profonds, forcément plus nombreux, associés à des paliers hauts plus courts. Ce qui se justifie par le fait que nos ennemies les bulles ayant été, en quelque sorte, maîtrisées dès le départ, il est moins nécessaire de passer autant de temps en haut. Un certain nombre de plongeurs profonds ont été rapidement convaincus par ce modèle qui rejoignait plus ou moins certaines pratiques déjà adoptées comme les deep-stops ou les Pyle-stops avec un premier palier à mi profondeur.

D’autres ont préféré jouer la prudence. Sans abandonner le modèle Bühlmann qui avait fait ses preuves, mais ayant déjà pratiqué les deep-stops sur des plongées profondes, ils ont trouvé pratique d’utiliser les GF pour «tordre» l’algorithme dans le sens de paliers plus profonds.

C’est pourquoi on utilise souvent des choix de GF de type 20/85 ou 10/85 pour des plongées trimix profondes.

Pour illustrer tout cela, par un exemple qui parlera à tous, prenons le cas d’une plongée circuit ouvert de 15’ à 70m avec un Tx normoxique et une décompression classique (EAN 50 et O2 pur à 6m) et observons les profils générés par un ZHL 16-B en faisant varier les GF et en comparant avec un VPM-B +3. 

On voit très nettement les différences de profils.

Oublions le nominal et le 90/90, bien trop raides.

On peut tout de même noter une faible différence de DTR entre certains choix. C’est la forme du profil qui va changer. On voit surtout l’écart important entre les profils GF et le VPM. Il faut utiliser un GF 10/85 pour s’approcher du VPM-B+3.

On notera qu’un GF 40/75 donnera la même DTR que le VPM, mais avec une répartition bien différente des paliers, privilégiant la partie haute de la décompression avec 56% du temps de la DTR au dessus de 10m.

Si on observe les courbes de désaturation des tissus directeurs on se rendra compte de deux choses :

  • D’abord que la ZHL-16+GF 40/75 donne une sursaturation résiduelle plus faible en sortie. La décompression semble donc meilleure.
  • Ensuite que, fidèle à ses principes, le ZHL-16 avec GF 40/75 utilise au mieux la capacité des tissus rapides à dégazer proprement, mais plus rapidement en profondeur. Les coefficients de sursaturation sont effectivement nettement plus élevés en début de décompression. Le profil VPM donne lui des coefficients de sursaturation plus linéaires.
  • Enfin que le ZHL-16+GF 10/85 est moins performant en sortie, comme si la décompression n’était pas totalement terminée. Méfiance donc.
De plus en plus de plongeurs, intuitivement ou après avoir analysé leurs courbes de désaturation (fournies par de nombreux logiciels de planification), préfèrent revenir aux fondamentaux haldaniens : un fort gradient de pression favorise une meilleure désaturation et les tissus lents (loin d’être à saturation au premier deep-stop) continuent de charger lors des paliers profonds, ce qui peut générer des surprises, en général mauvaises, à la sortie.

Une étude récente du NEDU va dans ce sens, qui prouve que sur une plongée (protocole «air», certes) à 50 m, avec effort fond et une durée totale de plongée relativement longue, les algorithmes deep-stops testés génèrent plus d’ADD que le modèle néo-haldanien (10 contre 3). Les analyses des bulles circulantes effectuées sur les plongeurs testés confirment cela en montrant nettement plus de bulles circulantes dans l’organisme dans les algorithmes à bulles que dans les algorithmes à gaz dissous (haldaniens).

La marine US est donc restée sur ses tables néo-haldaniennes, sans trouver d’avantages aux paliers profonds. En conclusion le Dr. David Doolette (en charge du test) conclu «Haldane still rules» (Haldane continue de faire la loi).

Cette étude, qui met en cause la systématisation des paliers profonds, a été confirmée par les propres travaux du Dr Simon Mitchell, qui en a fait le sujet de ses nombreuses et passionnantes conférences.

Il est vrai que quand on regarde un VPM-B+4 avec un premier palier seulement 10 m au dessus de la droite des pressions absolues, on peut se poser quelques questions sur la pertinence d’un premier palier aussi bas, même s’il est rapide.

Il n’est pas question ici de critiquer les modèles à bulles circulantes (qui ont stimulé la réflexion de tous) mais de suggérer que la vérité (par définition insaisissable) est peut être… entre les deux ! En tous cas il reste du travail !

Prenons maintenant l’exemple d’une plongée trimix à 90m avec deux trimix (un hypoxique 12/60 en gaz fond et un normoxique 20/25 en travel + déco) un Nitrox 50 et de l’oxygène pur pour terminer. Ceci n’est qu’un exemple, d’autres choix de gaz sont évidemment possibles.

Ici le 95/95 et le 85/85 paraissent carrément dangereux avec une DTR de moins de 50’ et des premiers paliers à 24 et 30m. Mais on s’en doutait un peu. La courbe de saturation des tissus (telle que donnée par Multidéco) montre un taux de sursaturation en sortie voisin de 0,8 ATA ce qui est beaucoup (et nous indique que la désaturation est assez loin d’être terminée). A 21m le taux de sursaturation atteint les 1,8 ATA !

Des solutions souvent retenues (20/85 ou même 10/85) semblent effectivement de bien meilleurs choix. Si le 10/85, génère volontairement un premier palier profond (premier palier à 66 m), on peut tout de même se poser la question de son intérêt car, en l’occurrence, 1) les tissus lents continuent de charger et 2) faire un premier palier avec le trimix fond ne paraît pas vraiment optimal, alors qu’un trimix de déco (avec une bien meilleure ppo2) est possible quelques mètres plus haut.

L’option 20/85 semble tout de suite nettement plus sympathique.

 
Plus généralement, mais c’est un avis personnel, on ne perd pas grand chose à s’éloigner assez rapidement de la zone où commence vraiment la décompression (aux alentours de 70m pour une plongée à 90m), car les tissus directeurs sont encore des tissus rapides et qu’il est donc possible de les solliciter plus largement, pour la bonne raison qu’ils supportent de plus forts gradients de pression en matière de « dégazage », et que ces même gradients de pression ambiante, varient lentement près du fond, comme on l’a vu précédemment.

Sur les plongées entre 70 et 90m, il paraît assez intéressant d’étudier des GF bas un peu plus haut et… des GF hauts, un poil plus bas que ce qui est souvent préconisé. Comme, par exemple, un 40/75. Qui donnent, sur une 90m, des premiers paliers à 48m et un dernier palier à l’oxygène de 16’ et un temps dans les dix derniers mètres de 55% de la DTR . Les taux de sursaturation tissulaires, donnés par Multi Déco, sont de 1,2 ATA au maximum et légèrement inférieurs à 0,6 en sortie. Ce qui n’est pas mal du tout.

Les taux de sursaturation post-plongée, donnés par Multi Déco, sont même un peu plus favorables à une solution de type GF 40/75 qu’à une solution VPM-B+3 ou GF 10/85.

NB: ces taux sont calculés et donc théoriques, il faudrait des analyses poussées pour connaître les taux de sursaturation réels dans l’organisme.

Plus généralement, il n’est pas souhaitable d’aller aux extrêmes « des deux cotés ». Si je veux des paliers profonds, donc des paliers effectués plus tôt, il paraît intuitivement pertinent que le choix de raccourcir, dans le même temps, la durée des derniers paliers (comme suggéré par certains logiciels) n’est pas une très bonne idée. Certains tissus lents continuant à charger, ce qui est contre productif, voir dangereux. N’oublions pas que ces tissus lents, qui, au fur et à mesure que le temps passe ont des chances de devenir directeurs, supportent moins les dégazages rapides et les forts gradients de pression proches de la surface. Si on accroit les paliers profonds, il convient de ne pas réduire, les paliers hauts. Un logiciel typé « deep stop » comme VPM se garde, désormais, bien de le faire dans ses dernières versions.

Ici, il n’a été question que de plongées où tout se passe bien ! Pour les « réchappes », par contre, on peut choisir des profils nettement plus « agressifs ». En effet, en cas de perte de gaz, on est déjà, potentiellement, en difficulté. On peut donc admettre la possibilité d’une certaine prise de risque et choisir dans ce cas de basculer sur des GF de type 80/80 ou même 90/90.

Enfin, il reste à dire qu’il n’a été traité ici que de cas de plongées carrées. Les profils multi niveaux que l’on rencontre souvent en plongée souterraine, par exemple, sont un cas particulier, qui n’est pas traité ici, pour la simple raison que l’auteur de ces lignes ne s’estime pas suffisamment compétent pour en parler et que le facteur humain semble être particulièrement important. Pour preuve, l’exploit incroyable réalisé récemment par un plongeur polonais avec des GF 100/100 !

Le cas de la plongée en circuit fermé, appelle d’autres remarques, qui feront l’objet d’un autre article. En effet la PPO2 constante, et les traces durables d’hélium dans la boucle au décours de la remontée, ou encore la possibilité de bailout (retour en circuit ouvert) appellent d’autres réflexions.

Que conclure?

  • Que les GF sont une façon pratique d’adapter son profil de décompression pour des raisons très variables (profondeur, mélange utilisé, forme physique, agressivité souhaitée, agressivité forcée par ex en cas de réchappe ou de perte de gaz, etc. …)
  • Que les GF travaillent dans un univers relatif, donnant parfois, pour des réglages différents, des résultats assez similaires ou très différents en fonction des paramètres : durée fond, temps fond et gaz utilisés. Il convient d’être prudent.
  • Que le choix des GF étant fait, il est impératif de confronter les résultats obtenus avec son bon sens et son expérience personnelle ou avec celle d’autres plongeurs.
  • Qu’il ne faut pas oublier que certains profils « possibles » n’ont jamais été testés. Il faut donc essayer de se garder des profils trop extrêmes.
  • Que pour certaines plongées, prendre une simple marge de sécurité haute et basse suffit amplement. Une plongée de 40 m réalisée en CO ou en CC à l’air, pourra se satisfaire de GF hauts 85/85 voire 90/90.
  • la tendance actuelle (qui n’est pas générale) consiste à ne plus déclencher de paliers trop profonds à grands coups de GF bas faibles, et à surpondérer (sans excès) une décompression dans le tiers haut du profil. On rencontre de plus en plus souvent des réglages 40/85 voir 40/75 pour des plongées trimix.
  • Qu’en tout domaine où les limites restent floues, il est bon d’éviter les choix un peu trop extrêmes.
  • Enfin, que l’on n’a jamais fini d’apprendre!

 

NB: a propos des simulations et des logiciels, il faut noter que l’algorithme ZHL-16 semble avoir été implémenté de façon assez différentes suivant les outils. Baltic est généralement moins conservateur que Multi Déco, par exemple. Il faudra en tenir compte.

Référence et bibliographie:

Les simulations ont été faites en utilisant les logiciels Baltic, V-planner, IDéco, Multi Déco et DDplan.

Les articles de références:

  • Bubble incidence after staged decompression from 50 or 60 msw : effect on adding deep stops par Blatteau, Hugon, Gardette, Sainty, Galland

  • VPM – une nouvelle alternative sérieuse aux modèles haldaniens – Maiken – Baker – Reinders – Yount – Trad JM Belin

  • Mathematical modeling of decompression during scuba diving – Please – Newhall – Levinson – Stanhope – Wang – Cromer – Jagalur-Mohan – Wrobel – 2009

  • VPM for dummies – Kevin Watts

  • Decompression theory – Des Gorman

  • Decompression methods – David Doolette – NEDU – Rebreather Forum 3 – Durham

 

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